- LIGURIE
- LIGURIELa Ligurie est la région de l’Italie qui s’étend le long du golfe de Gênes et sur le versant méridional des Alpes et de l’Apennin ligure. Il est difficile de composer un discours unitaire et synthétique sur les événements artistiques de l’histoire ligure. Cette difficulté tient d’abord à ce que la majeure partie des œuvres de plusieurs périodes ont été perdues; en outre, la configuration géographique de cette province et ses contacts avec d’autres civilisations avec lesquelles elle entretenait des rapports commerciaux n’ont pas peu contribué à diversifier les événements de son histoire artistique.Ligurie antique et médiévaleLa présence humaine est attestée en Ligurie depuis les temps préhistoriques: grottes paléolithiques des Balzi Rossi à Vintimille, refuges néolithiques des Arene Candide, dans le Finalese, et statues-stèles de pierre provenant de la Lunigiana; ces vestiges, conservés au musée archéologique de La Spezia, appartiennent tant à l’âge du bronze qu’à celui du fer; à beaucoup d’égards, on peut les comparer aux productions du Haut-Adige, et à celles des Pyrénées françaises et espagnoles.La nécropole du Ve siècle avant J.-C., découverte en plein centre de Gênes, rend compte de l’activité des Ligures avant la conquête romaine. Les céramiques grecques et apuléennes qu’on y a retrouvées, dont les pièces sont conservées au musée archéologique de Pegli, attestent les rapports que les Ligures avaient noués avec d’autres peuplades du bassin méditerranéen.La civilisation romaine a laissé maintes traces dans la province; le théâtre de Vintimille, le Ponte Lungo d’Albenga et la cité de Luni, fondée en 177 avant J.-C., comptent parmi les plus notables vestiges.Le baptistère d’Albenga, édifié au Ve siècle de notre ère, est le témoin le plus intéressant de l’art paléochrétien ; son plan polygonal, que compliquent des niches disposées sur le pourtour interne, le rattache aux baptistères lombards dont le modèle diffusé en Ligurie ainsi qu’en France dérive d’un prototype romain. La décoration contemporaine de mosaïques, dont il ne reste malheureusement que des fragments, témoigne de l’influence de la culture byzantine, qui a contribué à fixer la continuité de la tradition antique en Ligurie, principalement active dans le domaine architectural.De fait, les églises romanes (par exemple, celle de San Paragorio à Noli, celles de Saint-Donat et des Saints-Côme-et-Damien à Gênes, les abbatiales de Tiglieto, de Brugnato et de San Fruttuoso à Camogli) aussi bien que les églises gothiques (San Augustino et Santa Maria del Carmine à Gênes, l’église de Valle Christi à Rapallo, la basilique des Fieschi aux Piani d’Ivrea) conservent dans leurs proportions un cachet classique. Des éléments lombards dus à l’apport des Bénédictins et des maîtres antélamiques, actifs à Gênes depuis la moitié du XIIe siècle, coexistent dans l’architecture romane de Ligurie avec les motifs pisans et orientaux dont témoignent les parements polychromes.On rencontre également dans les domaines figuratifs le concours de diverses influences. Deux ouvrages importants l’attestent: le Crucifix , peint en 1138 par Guglielmo, conservé au dôme de Sarzana, que l’on peut rattacher à l’école lucquoise, et le marbre d’une Madone à l’Enfant de Santa Margherita Ligure, qui est en étroit rapport avec la culture provençale.Les travaux accomplis dans le cours du XIIIe siècle par des ateliers normands pour l’édification de la façade du dôme de Gênes furent décisifs dans le développement de l’architecture gothique. La statuaire se ressentit, durant tout le siècle, de cette influence, qui cependant fut modifiée, au commencement du siècle suivant, par la présence à Gênes d’une œuvre de Giovanni Pisano: le monument funèbre de Marguerite de Brabant, sculpté en 1313, dont les fragments sont actuellement conservés au palais Bianco et au palais Spinola.En peinture, les artistes originaires d’Italie centrale dominèrent, qu’il s’agisse de Manfredino de Pistoia, qui répand en 1293 la manière de Cimabue dans les fresques de San Michele à Gênes (aujourd’hui détachées et conservées au palais Bianco), qu’il s’agisse de l’anonyme byzantinisant qui travaille à la cathédrale de Gênes, ou encore du maître de Santa Maria di Castello, de Barnaba da Modena, ou de Taddeo di Bartolo. Au contact de ces peintres se sont formés plusieurs artistes comme Bartolomeo da Camogli, Francesco d’Oberto, Nicolò da Voltri et le maître dei Calafati. Par leur langage gothique et leur délicat esprit narratif, ils appartiennent au grand domaine pictural des « primitifs méditerranéens».Une renaissance tardiveLa Ligurie du Quattrocento est demeurée étrangère à la révolution artistique issue de la renaissance toscane; le style gothique y persiste durablement, comme le démontre notamment le prospetto de la chapelle du Baptiste à San Lorenzo de Gênes, exécuté par les Lombards Domenico et Elia Gagini, avec un souci décoratif inspiré du gothique fleuri. La peinture fait également survivre des accents gothiques avec les œuvres notables du Niçois Ludovico Brea ou celles de maîtres nordiques comme Just de Ravensburg, Joos Van Cleve, Gérard David, etc. Si l’art de Mantegna se répercute par l’entremise des Lombards Carlo Braccesco, Vincenzo Foppa et du Piémontais Giovanni Masone, et si des artistes toscans, tels Matteo Cividali et Andrea Sansovino, vinrent travailler à la chapelle du Baptiste, ils ne parvinrent pas pour autant à amorcer en Ligurie le processus de la Renaissance.C’est seulement en 1528 que cette province s’ouvrira à la culture de l’Italie centrale, quand Andrea Doria appelle Perin del Vaga pour décorer son palais de Fassolo. Les artistes génois découvrent alors, par la médiation de ses fresques, le monde de Raphaël et de Michel-Ange, nuancé cependant d’une composante toscane, en raison des séjours simultanés de Domenico Beccafumi et de Giovanni Angelo Montorsoli dans la métropole ligure.Mais faute d’avoir vécu et intégré l’expérience de la Renaissance, les artistes génois ne purent comprendre ce qui, dans le maniérisme, était recherche formelle inquiète, issue de la crise de la Renaissance; ils n’y virent que les aspects capables de procurer les expressions d’un agréable esprit décoratif.Cette interprétation demeurera une composante fondamentale de la sensibilité des artistes locaux durant tout le XVIe et le XVIIe siècle, à commencer par Luca Cambiaso (1527-1585), le plus important des peintres ligures du Cinquecento. C’est dans certaines œuvres de sa maturité que brille son génie, quand il parvient à franchir les limites du maniérisme; s’appropriant une réalité approchée dans ses aspects épisodiques, il produit, dans une interprétation personnelle du luminisme, des ouvrages qui le feront passer pour un précurseur de Georges de La Tour. Au demeurant, il n’est pas exclu que ce sentiment intimiste de la réalité, propre au goût nordique, lui ait été inspiré par les nombreuses peintures flamandes qui furent collectionnées à Gênes au cours des XVe et XVIe siècles. Luca atteignit également une grande maîtrise dans la décoration à fresque, fondant une tradition qui sera continuée aux XVIIe et XVIIIe siècles par Lazzaro et Pantaleo Calvi, Andrea Semino, Valerio Castello, Lazzaro Tavarone, Giambattista Paggi et Giovan Battista Carlone.Quant au développement de la ville selon les schèmes de la Renaissance, il fut le fait d’un architecte de formation romaine, Galeazzo Alessi, appelé à Gênes en 1548 pour édifier la basilique de Santa Maria di Carignano, inspirée du projet de Bramante pour Saint-Pierre de Rome. La réalisation la plus notable, à cette époque, fut l’ouverture de la via Nuova (aujourd’hui, via Garibaldi); c’était la première rue conçue selon une percée rectiligne, réglée selon les lois de la perspective et flanquée de palais articulés en masses séparées, au contraire du dispositif continu propre aux voies médiévales. Imitée de la via Nuova, la via Balbi fut ouverte en 1602 sous la direction de l’architecte Bartolomeo Bianco; cette voie illustre une conception d’espace urbain que caractérise l’articulation scénographique de vastes escaliers, de somptueuses cours et de jardins richement parés.L’école de peinture des XVIIe et XVIIIe sièclesAu début du XVIIe siècle, les peintres génois sont encore tributaires de l’expérience nettement maniériste du siècle précédent; cela est si vrai que Domenico Fiasella, l’un des plus notoires artistes du XVIIe siècle, ne sut enrichir sa manière que de traits d’ornementation superficiels, à la suite de son voyage romain, pendant lequel il eut moins de regards pour les œuvres des Carrache et du Caravage que pour celles qui appartiennent à ce qu’il est convenu de désigner par second maniérisme. À cette époque-là, un peintre raffiné et recherché comme Antoine van Dyck ne pouvait que jouir d’une grande faveur à Gênes, où il séjourne presque sans interruption entre 1621 et 1627, devenant le portraitiste attitré de l’aristocratie. En revanche, le dynamisme pictural de la Circoncision de Rubens, installée en 1605 dans l’église du Gesù, ne fut pas compris.Cette source fondamentale de la peinture baroque ne fut appréciée que pour ses savantes recherches d’effets chromatiques dans une matière picturale rendue brillante par ses vifs accords. Cependant, le milieu artistique génois est travaillé durant ces mêmes années par l’activité de Orazio Gentileschi, le vulgarisateur de la réforme caravagesque, par la présence du Lombard Giulio Cesare Procaccini et de nombreux peintres nordiques, tels Cornelio de Wael, Giovanni Roos, Goffredo Wals, qui furent autant de spécialistes des scènes de genre. Une des plus fécondes écoles de peinture de l’Italie de ce temps naît alors de la convergence des cultures latine et flamande. Ses plus notoires représentants sont Bernardo Strozzi, influencé par les œuvres génoises de Rubens, où il trouve le sens du coloris dense et brillant; Giovanni Andrea de Ferrari, dont la couleur et le dessin vont à l’expression d’un sentiment chaleureux de la vie; Gioacchino Assereto, qui compose au contraire sa vision figurative à un niveau intensément dramatique; Sinibaldo Scorza, Antonio Travi et Anton Maria Vassalo, inspirés par la peinture de genre flamande, qui produisirent des images attachantes et bien enlevées d’animaux, de natures mortes et de paysages; Giovanni Battista Castiglione, qui appartient à la même tradition naturaliste flamande, prend prétexte d’épisodes bibliques pour composer de sémillantes réunions de pâtres et d’animaux.À la même époque fleurit une génération de fresquistes dont les compositions font éclater fantastiquement l’espace intérieur des palais. Les plus importants furent Valerio Castello, Giovanni Battista Gaulli et, à l’orée du XVIIIe siècle, Domenico Piola, Gregorio de Ferrari et Bartolomeo Guidobono, dont l’inspiration relève de l’univers de Corrège, créant un baroque tout différent du baroque romain, et donnant naissance, dans leur métier transparent et léger, à des formes picturales qui préludent à l’art français du XVIIIe siècle.La tradition qu’ils ont instituée se poursuit dans la première moitié du Settecento avec Domenico Parodi et Lorenzo de Ferrari, qui donnent dans une manière de plus en plus décorative. Alessandro Magnasco (1667-1749) se détache radicalement de cette tendance; formé dans le milieu réaliste lombard, le plus grand peintre génois du Settecento se recommande par une vision artistique toute personnelle, qu’il exprime par un jeu impromptu de touches brisées, tout en prenant pour thèmes les aspects les plus déconcertants de la vie de ses contemporains.Sculpture et architectureL’évolution de la sculpture est comparable aux transformations de la peinture; les formes maniéristes du Cinquecento se transmirent dans les œuvres de dynasties de sculpteurs, les Carlone et les Orsolino, jusqu’à ce que la venue, en 1661, du Français Pierre Puget importe le nouveau ton du baroque romain. La même année, un sculpteur génois, Filippo Parodi, revient de Rome, riche d’influences berninesques; il deviendra le plus notable représentant du baroque génois, interprétant le désir de faste de la noblesse, et inaugurant pour elle une tradition de richesse dans l’art du mobilier. À la faveur de ce renouveau, fleurissent au XVIIIe siècle les talents d’un Anton Maria Maragliano, sculpteur sur bois de groupes processionnels dits casacce , d’un Francesco et d’un Bernardo Schiaffino dont l’art est tout d’élégance.L’architecture ligure du Settecento, qui eut en Anton Maria et Giovanni Antonio Ricca ses plus notoires créateurs, est également marquée par un vif souci d’élégance; les structures sont intensément animées, conformément aux schèmes de composition provenant du Piémont et de Rome, ainsi qu’à une nécessité décorative, qui produit dans les intérieurs une floraison d’ornements de stucs polychromés. Les artistes de cette époque ont ressenti plus vivement la valeur des rapports entre architecture et nature. Un exemple en est donné par l’aspect du petit bourg de Cervo, dont la structure est ordonnée en un mouvement pittoresque autour de l’église paroissiale et de son campanile.La tradition artistique si vivante dans la Ligurie du XVIIIe siècle s’épuise quelque peu au siècle suivant, sous l’influence des tendances académiques; l’ensemble le plus notable du siècle, le cimetière du Staglieno, le démontre bien. On peut, néanmoins, soutenir que les plus valeureuses réalisations des deux derniers siècles dans le champ des arts figuratifs sont essentiellement culturelles: au XIXe siècle, les premières études fondamentales sur l’histoire de l’art ligure, et au XXe siècle l’ouverture au public de précieuses collections d’art qui ont doté Gênes de musées de première importance.Ligurierég. admin. du N. de l'Italie et rég. de la C.E., sur le golfe de Gênes, formée des prov. de Gênes, Imperia, Savone et La Spezia; 5 416 km²; 1 758 960 hab.; cap. Gênes.
Encyclopédie Universelle. 2012.